Pourquoi des bornes armoriées en forêt ? Quelle est leur origine ? Leur utilité ?


Textes, visuels et circuits sur proposition de M.Jean-Marc Chalot, avec le soutien de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Senlis, du Rotary Club de Senlis et de la Communauté de Communes de Senlis Sud-Oise.


L’importance de la forêt

La forêt joue un rôle important dès le Moyen-Age et jusqu’à la Révolution industrielle. C’est la principale source de combustible, pour la cuisson des aliments et pour le chauffage, tant directement par le bois, ramassé ou coupé, que par le charbon de bois produit sur place. C’est une source indispensable de matériau de construction, irremplaçable pour les charpentes. Et c’est enfin une source d’alimentation directe par la chasse, ou indirecte pour l’alimentation des animaux domestiques ; les glands pour les cochons ou la petite végétation de sous-bois pour les vaches et les moutons.
Toutes ces ressources sont liées à des droits spécifiques, dont certains, comme la chasse du grand gibier, resteront l’apanage du roi ou des grands seigneurs. Posséder une parcelle de bois ou des droits sur une parcelle est une source de revenus importante.

Les routes étant très peu nombreuses en forêt (celles que nous connaissons aujourd’hui ont été tracées au XVIIème et XVIIIème siècle pour les besoins de la chasse), les parcelles sont, au mieux, délimitées par des fossés et le talus réalisé par le déblai du fossé.

Ce sera à l’occasion d’une vente ou surtout d’un différend entre voisins qu’une mesure précise sera réalisée et que des bornes seront mises pour bien marquer les limites de propriété.


Les origines des bornes armoriées

Anne de Montmorency (1493-1567), seigneur de Chantilly, connétable de France et plus grand personnage du royaume après le roi, souhaite développer son domaine de chasse de Chantilly et se heurte au prieuré de Saint-Nicolas d’Acy. Pour résoudre le différend, une transaction est passée en 1537 : « il sera planté des bornes aux armes du baron et à la marque du prieuré » pour délimiter les propriétés. Ce sont les premières bornes armoriées implantées dans la région.

A partir de cette date, le connétable de Montmorency, pour éviter d’autres procès interminables, fait borner toutes ses possessions, tant en forêt de Chantilly qu’en forêt d’Halatte et même en dehors de la forêt. De 1537 à 1546, plus de 200 bornes aux armoiries du connétable sont mises en place.
Le différend avec le prieuré Saint-Nicolas d’Acy ne se soldera d’ailleurs définitivement qu’en 1553, où le prieuré renoncera à tous ses droits en forêt de Chantilly en échange de plusieurs biens, dont les bois du connétable en forêt d’Halatte.

Par la suite, on ne plantera plus de bornes en forêt de Chantilly, au contraire. Les Princes de Condé, qui succèdent aux Montmorency, continuent d’étendre le domaine forestier de Chantilly et les bornes deviennent inutiles à la suite du rachat progressif des parcelles. Plus de la moitié seront arrachées, détruites, enterrées, ou parfois déplacées dans un but uniquement décoratif.

Le connétable Anne de Montmorency
Corneille de Lyon d’après François Clouet, XVIème siècle, huile sur toile, musée Condé – Chantilly


Les bornes armoriées en forêt d’Halatte

Les limites actuelles de la forêt d’Halatte sont, à peu de choses près, celles du XIIIème siècle, le défrichage ayant été interdit pour préserver le domaine de chasse. C’est une forêt royale, mais les rois de France en ont très tôt donné des parcelles aux nombreux établissements religieux de Senlis et des environs et à quelques seigneurs laïques.

Au Mont Alta, le connétable de Montmorency possède deux bois qu’il fait borner en 1540 : le Bois de la Livrée (11,80 ha) et le Bois de Fosses (17,70 ha). Le chapitre de Saint-Rieul possède un bois limitrophe du Bois de la Livrée, le Bois de la Borne-Morel (10,70 ha), et va profiter de l’opération lancée par le connétable pour le faire borner en totalité.
Par la suite, deux évènements interviendront en forêt d’Halatte qui feront disparaitre quelques-unes de ces bornes : le partage des bois en gruerie appliqué à la forêt d’Halatte en 1638 et le tracé des nouvelles routes forestières aux XVIIème et XVIIIème siècles pour les besoins de la chasse. A la Révolution, tous les propriétaires sont expropriés pour la création d’une forêt domaniale. Les bornes n’ont plus d’usage, elles sont abandonnées et oubliées.


Ces bornes armoriées, inventoriées en 2020-2021, ont fait l’objet d’une campagne de redressement en novembre 2023, financée par la Rotary Club de Senlis, et sont aujourd’hui aux emplacements et dans l’état où elles étaient en 1540.
Une procédure de classement au titre des Monuments historiques est en cours.
Les bornes, en liais (calcaire dur), hautes d’environ 80cm -1m, présentent les armoiries des propriétaires des parcelles de bois qu’elles limitent. Elles portent toutes la date de 1540. Le dessus de la borne, fait exceptionnel en France, indique la forme de la limite de parcelle.


Partez à la découverte des bornes grâce aux circuits détaillés

Téléchargez ci-dessous les fichiers pdf des circuits :